Ce texte a été présenté au concours d’écriture intitulé Le Grand Prix Littéraire du Golf, lors de l’édition 2023, par Gabriel Debailly. Même si cette nouvelle n’a pas été lauréate du concours, Le Meilleur du Golf l’a beaucoup appréciée, et a souhaité partager cette nouvelle avec son blog pour les golfeurs. Nous espérons que vous prendrez du plaisir à la lire. Et peut-être que vous aussi, vous prendrez part à la prochaine édition du GPLG?


Il y a quatre ans je suis parti aux Etats-Unis assister à la saison des tornades, mais avant de retrouver l’unique chasseur de tornades à avoir accepté que je l’accompagne dans cette aventure, j’avais prévu quelques interviews pour un documentaire que je souhaitais faire sur ce voyage. Je devais rencontrer les membres de deux tribus indiennes de l’Oklahoma pour recueillir leurs légendes, les habitants de Greensburg, une ville rayée de la carte en 2007, ou encore un professeur d’histoire passionné de pêche et de météorologie.

A l’issue de ces rencontres, il ne me restait qu’une chose à faire, retrouver Bob, un homme de soixante-cinq ans, retraité de Pizzahut après quarante ans de travail et aujourd’hui entièrement absorbé par la chasse aux tornades pendant trois mois et à l’oisiveté le reste de l’année. J’étais à Dodge City au Kansas, et lui à Holly dans le Colorado, deux heures de route nous séparaient et nous avions prévu de nous retrouver en fin de journée. J’avais quelques heures à tuer, j’avais déjà visité le Boot Hill Museum et allez savoir pourquoi, je me suis souvenu que je n’avais jamais joué au golf alors que j’aime beaucoup sa pratique vidéo ludique. Ni une ni deux, j’en repère un à mi-chemin entre Bob et moi, et je file en direction du Buffalo Dunes Golf.

La route que j’emprunte est aussi monotone que spectaculaire, des champs circulaires dans des enclos carrés à perte de vue, dans un mélange de vert et de jaune poussière. J’arrive à bon port après avoir dépassé un énième camion-citerne à la carrosserie chromée et je suis immédiatement saisi par la luxuriante verdure de l’endroit.

À l’accueil, j’explique que je n’ai jamais joué et que je voudrais essayer de taper la balle. L’homme qui me reçoit s’amuse de ma franchise et me remet un sac avec différents clubs ainsi qu’un panier débordant de balles sans plus de formalité. Visiblement il avait plus confiance que moi dans la robustesse de son matériel.

Sur le practice, je fais provision de tees en ramassant les cadavres des précédents joueurs. En les utilisant, j’ai l’impression que c’est plus facile que quand la balle est directement posée sur l’herbe et surtout, j’ai l’impression de diminuer le risque de casser le club si je frappe à côté. Je ne casserai aucun club, heureusement, mais je fais voler quelques belles mottes de terre et mes premières balles vont plus loin en roulant qu’en prenant le chemin des airs.

Je vide mon premier panier avec entrain et gourmandise, pas du tout découragé de mes nombreux échecs à vouloir envoyer une balle suffisamment loin pour pouvoir dire : je l’ai 2 fait. Je suis très bien à cet instant, coincé entre le bleu du ciel et le vert brillant de l’herbe, dans ce lieu hors du temps, sous un soleil de plomb.

C’est en vidant mon deuxième panier que se produit ce que je n’oublierai jamais de cette journée. Après une centaine de balles frappées et alors que je commence à comprendre le subtil mélange de décontraction et de force que requiert la posture du golfeur, j’entends le « ping » parfait au moment de la frappe, le club vibre entre mes mains et la balle s’envole à travers l’espace. Pendant cet instant, il n’y a qu’elle à regarder dans le ciel du Kansas, la balle que je viens de taper parfaitement pour la première fois de ma vie. Quelle joie de suivre sa trajectoire en cloche et de la voir atterrir parmi les siennes à l’autre bout du practice. Je viens de réussir un exploit personnel et personne n’est là pour le voir ou comprendre l’importance de ce coup banal pour tout initié.

Le troisième et le quatrième panier m’offrirent encore trois fois la joie de ce moment devenu particulier pour moi. Les autres balles, après avoir brassé l’air et remué la terre, je les frappais de mieux en mieux. Certainement qu’on s’améliore à répéter le même geste pendant deux heures.

Tous les plaisirs ont une fin, je commence à fatiguer et il est temps de repartir, mais pour prolonger ce moment, ce n’est pas tous les jours que l’on joue au golf pour la première fois de sa vie au milieu des champs de l’ouest du Kansas, je ramasse mes premières balles, celles que j’avais juste réussi à déloger du tee lorsque je n’étais qu’un novice. Une dernière fois j’ajuste ma posture, mes épaules sont détendues, j’use de force et de relâchement, je sens le poids du club fendre l’air, mon bassin pivote, je rate. Il est temps d’arrêter sur une bonne impression.

Une demi-heure plus tard j’entre au Colorado, la tête pleine de ce qui est déjà un très beau souvenir et au moment de me garer devant la petite maison en planches blanches de Bob, je fais la promesse de rejouer au golf pour prolonger l’expérience. Malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion de le faire, mais je rejouerai. En attendant je me satisfais de ce moment à jamais accroché dans ma mémoire, et chaque fois que le golf est évoqué, il résonne en moi le son si particulier d’une balle parfaitement frappée sous le ciel bleu du Kansas.

Après avoir déposé Bob au garage pour qu’il récupère sa Porsche 928 GTS, qui se devait une beauté avant la saison des tornades, nous avons commencé à descendre vers le Nouveau Mexique, de bonnes conditions météo y étaient prévues le lendemain. C’est seulement deux jours plus tard, quelque part au nord du Texas, que nous verrons l’unique tornade de notre compagnonnage.