Ce texte a été présenté au concours d’écriture intitulé Le Grand Prix Littéraire du Golf, lors de l’édition 2022. Même si elle n’a pas été lauréate du concours, Le Meilleur du Golf l’a beaucoup appréciée, et a souhaité partager cette nouvelle avec ses lecteurs. Nous espérons que vous prendrez du plaisir à la lire. Et peut-être que vous aussi, vous prendrez part à la prochaine édition du GPLG?
Je peux l’avouer, j’étais vraiment très fier de marcher à côté de lui, son sac sur mon épaule. Quand il m’attendait à la sortie du green, pendant que je remettais le drapeau en place, pour me donner son putter de la main à la main, je pouvais dire qu’il était de bonne humeur.
Ce matin-là au petit déjeuner nous avions bien plaisanté. Tous les caddies savent que tous les moments sont importants, que chaque détail compte. Un sourire, une poignée de main, un bon mot sont d’une importance capitale. Si pour une raison ou une autre, tu ratais une étape, tu risquais de mettre ton champion dans de mauvaises dispositions. Les semaines de tournois, la routine était de tous les instants et pas uniquement une fois arrivé sur le parcours. C’était une constante, une façon de rester en immersion totale. Je le soupçonnais même de dormir toujours du même côté du lit pour conjurer le sort.
Depuis le tee du 1 de ce quatrième jour, je sentais que tout allait bien. Il était vraiment dans son golf. Il ne souffrait pas de son dos ou de son genou. C’était une journée comme je les aimais. Tout ce qu’il entreprenait, il le réussissait. La grâce, les étoiles, le dieu du golf ou tout simplement le talent appelez ça comme vous voulez. Le fait était qu’il était co-leader avec un score de -16 après dix-sept trous.
Voilà un an maintenant que j’avais la responsabilité de son sac. Le jour où il m’avait demandé d’être son caddy, avait surement été le plus beau jour de ma vie. Je me souviens : il m’avait téléphoné pour me demander de venir dans sa sublime propriété et de façon très cérémoniale m’avait remis une serviette siglée du magnifique logo d’Augusta comme pour sceller notre engagement. Même dans mes rêves les plus fous, je n’avais jamais imaginé, qu’il me donnerait cette responsabilité.
Le début de l’automne en Europe n’était pas une bonne période pour scorer très bas. La balle volait moins bien et les fairways plus gras, plus humides, raccourcissaient les distances de chaque coup. Pourtant, malgré les 14°C, ses performances étaient impressionnantes.
On venait d’arriver au départ du trou n°18. Long par 5 de six cents mètres. Le parcours avait été maitrisé de bout en bout. Les consignes avaient été claires. Je me devais de rester calme et sobre en toutes circonstances. Pas d’effusions particulières. Pas de cri de joie pour un beau coup ou une ficelle de dix mètres. Depuis le départ, je n’avais donc fait aucun commentaire. Juste de simples indications sur les distances de retombée de la balle, de bunker ou de position de drapeau. Ce 18, je le connaissais par coeur, c’était un trou difficile et très piégeux. Aussi, la veille après le troisième tour, sans rien dire j’étais venu repérer encore et encore.
Le matin avant chaque départ je vérifiais et revérifiais dix fois l’intégralité du sac pour que tout soit bien là. Tout devait parfait. S’il me demandait quoique ce soit je devais être capable de répondre rapidement et sans chercher. Ma présence à ses côtés passait par là. Mais ça ne me pesait pas, bien au contraire. De son bien être dépendait le mien.
Trou signature du parcours avec un départ surélevé, ce trou était un véritable chef d’oeuvre d’architecture. Véritable couloir tracé dans une forêt d’arbres plus que centenaires, il laissait deviner un minuscule green en contre bas. Le choix du club de départ avait son importance et je savais que le driver n’était pas la bonne solution. Les deux immenses et profonds bunkers attendaient les plus présomptueux. Et les statistiques étaient terribles. Tous les joueurs qui étaient allés dans les bunkers n’avait fait que le « Par » au mieux.
L’euphorie fait parfois commettre des erreurs inimaginables à certains joueurs. Les histoires sont nombreuses où la victoire s’était perdue au 18 par trop de suffisance. Mon rôle prenait là tout son sens et mon pouvoir de conviction devait être déterminant. Il ne fallait pas qu’il joue son driver.
Alors quand, debout devant son sac, il s’était retourné vers moi et m’avait demandé sur un ton légèrement agacé,
-Où est mon bois 3 ?
J’avais eu l’impression que le monde venait de me tomber sur la tête. Comment était-ce possible ? Il ne l’avait pas joué de la journée et au moment où je l’avais convaincu qu’il fallait jouer celui-là et pas un autre, il n’était pas dans le sac. Comment avais-je pu oublier un club à l’hôtel ? Impossible. Quelqu’un l’avait forcément volé. Pourtant j’étais le seul à avoir accès à son sac.
Il allait devoir se résoudre à jouer le driver. Rien de pire qu’un joueur contrarié. Alors que je lui proposais de jouer son fer 3, il prit le driver et me lança le couvre club en guise de défi. Ce qui devait arriver arriva.
Lui qui avait été mesuré et extrêmement précis toute la partie, mis dans son swing toute la puissance de sa colère. Généralement cela ne présage rien de bon. Je ne quittais pas sa balle des yeux qui prenait inexorablement la direction des bunkers. Je ne voulais pas croire que cela puisse arriver. Dans son regard je découvrais toute la fureur du champion. La suite se passe de commentaire. Une sortie compliquée, une approche de plus de deux cent vingt mètres et deux putts et me voilà devenu le chat noir des parcours.
Le retour au club house qui s’en suivit fut horrible. Les cris et les hurlements de la foule attestaient que j’étais bel et bien l’unique responsable de sa défaite. C’est alors que je sentis comme une drôle de sensation. Comme une présence juste à côté de moi. J’entendis d’abord de tous petits bruits. Puis tout doucement, j’ouvris les yeux et découvris, planté devant moi, sa majesté le chat lassé de me voir dormir. Il venait de m’extirper d’un horrible cauchemar. Celui du jour, où du haut de mes douze ans, j’avais fait perdre Tiger Woods.

Directeur des chaînes Canal+ Sport à l’International, Pierre Chaudesaygues a toujours été amené dans son métier de journaliste à raconter des histoires au travers des nombreuses émissions et des différentes productions pour la télé. Passionné de la petite balle blanche, il a été l’un des artisans à la création de la chaîne GOLF+ (Groupe Canal+).
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