Ce texte a été présenté au concours d’écriture intitulé Le Grand Prix Littéraire du Golf, lors de l’édition 2022. Même si elle n’a pas été lauréate du concours, Le Meilleur du Golf l’a beaucoup appréciée, et a souhaité partager cette nouvelle avec ses lecteurs. Nous espérons que vous prendrez du plaisir à la lire. Et peut-être que vous aussi, vous prendrez part à la prochaine édition du GPLG?


Va pleuvoir.

– Comment ça, « va pleuvoir » ?

– Va pleuvoir, c’est tout.

Peu loquace, Louis, le préposé aux départs était affirmatif sur les prévisions du jour. Le bougre se trompait rarement sur les conditions météo.

– Bon parcours quand-même – conclut-il, sans rire, en observant ostensiblement ma tenue, pantalon d’été, polo à manches courtes que complétait l’absence de parapluie dans mon sac.

Le tee numéro 1 s’ouvrait sur un fairway immense. Par 4 de 350 m, large de 80. Sauf mauvaise foi toujours possible, particulièrement dans mon cas de golfeur (très) moyen, la place ne manquait pas. J’étais chaud comme la braise. Mon dernier parcours datait d’une semaine. Une éternité. Je me préparais, basculant d’un pied sur l’autre, à frapper un grand coup dénué de finesse, . Bref, le désastre approchait. Le bruit du contact traversa la forêt bordant le parcours, accompagnant le missile sphérique vers des endroits inconnus de tout golfeur lambda.  Louis se retourna haussant les épaules en marmonnant dans sa moustache – l’est nul…

– Balle provisoire, énonçais-je, sous les yeux consternés de mes camarades de jeu qui avaient intégré que le caractère provisoire relevait d’un définitif implacable. Le tee avait disparu, volatilisé, désintégré peut-être. A sa place, non pas une escalope ou un divot de bonne facture, mais une saignée, une tranchée, un truc qu’on ne voit que dans le BTP lors du forage de fondations. Je tentais discrètement (la blague…) de reboucher l’horreur et replantait, dans une piètre tentative de conserver ma dignité, un nouveau tee. Le deuxième coup n’émit aucun son. Rien, nada, le vide, le néant. Un pschitt angoissant. La balle provisoire avait parcouru  20 mètres. La tranchée s’était agrandie. J’eu une pensée émue pour les jardiniers.

– On n’est pas rendus, souffla discrètement Eric. Antonio approuva d’un hochement de tête fataliste. La journée serait longue.

Les sourires goguenards du groupe suivant, me mirent sous pression pour le deuxième coup. Le fer 9 en mains, je devinais, déjà énervé, que sortir cette saleté de balle du rough, où elle gisait pluggée dans une empreinte de sanglier, saloperie de bestioles, n’était pas gagné. Contre toute attente, la balle s’envola, dans un gracieux hasard, en direction du green. Elle frôla la tête d’Eric, planté au milieu du fairway, là où la sécurité était normalement maximale, puisque c’est moi qui jouait.

Derrière, ça rigolait maintenant sans aucune retenue. Je pressentais déjà que la machine à baffes serait de sortie bien avant le 18. Je terminais le trou sur un plus 8 plein de promesses pour la suite. J’attaquais le numéro 2 en me persuadant que je ne pouvais pas faire pire. Erreur. Le par 5 se soldait par un plus 10 et 3 balles perdues.   Et ainsi de suite jusqu’au 18. Je pense avoir exploré cet après-midi là, des espaces inconnus où l’homme n’avait jamais mis les pieds. Ce fut un long chemin de croix que la pluie vint agrémenter, histoire de donner raison à Louis. Au numéro 10, le trio suiveur des rigolards imbéciles avait abandonné dès les premières gouttes. Je ne pus résister à leur lancer un « dégonflés ! » de mauvais aloi qui n’apportait rien, sauf un risque élevé de baston généralisée dans le rough boueux. Heureusement il tombait maintenant des trombes d’eau dissuasives de tout différent inopportun. Je décidais néanmoins d’éviter le club house en fin de partie. On n’est jamais trop prudent face à d’éventuelles incompréhensions sur la philosophie de l’étiquette.

Le trou 18 avait manifestement été dessiné par un vicieux, ou alors un dingo. Dans tous les cas, un beau saligaud. Le par 3 de 220 m, faisait face à un plan d’eau bordé d’herbes hautes, ayant fait la fortune des marchands de balles du secteur. J’hésitais à me diriger directement vers la drop-zone, histoire d’économiser une balle. Ceci étant, n’étant pas à l’abri d’un bon swing, je choisis, inconscient, de tenter l’impossible d’un coup de bois 3 vieilli par des années de pérégrinations golfiques. La balle partit, façon Ariane sur son pas de tir, c’est à dire vers l’espace. La trajectoire, pour le moins improbable, la fit retomber sur le seul rocher émergeant du plan d’eau. Et bing ! Le rebond la renvoya à des dizaines de mètres d’altitude, en direction du green, le bol. Elle dépassa le drapeau et initia un back spin inexpliqué et inexplicable qui l’envoya directement dans le trou. Je mis quelques instants à m’en remettre sous les regards mi inquiets, mi stupéfaits des mes deux comparses. L’émotion passée, Le duo de sagouins n’eut de cesse de dédier ce coup à la chance et autres raisons sur lesquelles je préfère ne pas m’appesantir. Des jaloux. Mais aussi et surtout des amis avec qui je partageais une passion commune malgré tout. Malgré les drives tout azimuts, malgré le vent et la neige, malgré le fait d’être conscients que nous ne deviendrions jamais des Tiger Woods.

La pluie avait cessé, je croisait Louis en rejoignant le parking.

– Va faire beau

– C’est ça Louis, et après va pleuvoir.

Je cru entendre un discret « couillon ! » alors que Louis s’éloignait.

C’est trempé comme jamais que je rangeais mon attirail dans le coffre de ma vieille guimbarde. Sous un soleil nouveau, un sourire béat aux lèvres, je me disais, sans honte aucune,  que j’avais été bon aujourd’hui.


Je suis Jean Jacques Manach, golfeur depuis 7 ans. Je profite du temps libre que m’offre ma retraite pour parcourir les fairways du nord de la région parisienne  et de l’Oise.Je suis originaire de Brest où j’ai travaillé pendant plus de 20 ans. J’ai travaillé ponctuellement comme journaliste pour le journal Oise Hebdo.


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