Pierrot et La Comtesse [Grand Prix Littéraire du Golf]

Ce texte a été présenté au concours d’écriture intitulé Le Grand Prix Littéraire du Golf, lors de l’édition 2023. Même si cette nouvelle n’a pas été lauréate du concours, Le Meilleur du Golf l’a beaucoup appréciée, et a souhaité partager cette nouvelle avec son blog pour les golfeurs. Nous espérons que vous prendrez du plaisir à la lire. Et peut-être que vous aussi, vous prendrez part à la prochaine édition du GPLG?


Je m’appelle Pierrot, j’habite la maison dite du Dragon, une vieille ferme construite ici, il y a bien longtemps, en bordure de la colline. C’est une ancienne bâtisse avec ses vaches et ses moutons au milieu d’un grand pâturage et d’un chemin fréquenté par les meuniers et les fruitiers.

Les Anglais sont venus, ils se sont arrêtés là pour mettre leurs pieds dans le lac, puis leurs abattis dans les bains de la source commune. Une ville thermale fleurissait, ici ils voulaient un hippodrome pour les chevaux et les lévriers, plus loin s’affronter sur un cours de tennis et encore plus audacieux, à flanc de colline, dessiner un parcours de golf. En peu de temps, la pelouse et la végétation firent leurs sculptures et le paysage changea à jamais. Ils posèrent des boules multicolores, des points de repère plantés sans hasard, face aux allées vertes attractives et resplendissantes. Au loin, des mâts surélevés de drapeaux rouge et blanc caractérisent le lieu, ils semblent là pour marquer le territoire.

Elle, elle apparaît, foulant l’allée, plus belle que toutes les filles que je n’ai jamais vues. Une jeune femme altière, auréolée d’une lumière si éclatante que la clarté du jour n’est à côté d’elle qu’un flambeau sous le soleil. Il me semble la connaître, elle ressemble au portrait d’une Comtesse de Freesia, un tableau abandonné depuis des lustres dans le grenier de notre ferme. Est-ce-t-elle dans sa robe anglaise, voletant, éclaboussant, remplissant l’espace, semblant ne pas toucher le sol. Par timidité plus que par respect, je baisse le regard, la tête inclinée, les yeux lestés scrutant le sol, je ne vois que ses chaussures rouge qui foulent l’herbe verte. De son pas léger, elle s’arrête aux repères, les pieds se confondent avec eux, ce n’est pas une coïncidence. Posant une boule blanche sur une petite tige de bois, elle fait naître la plus simple des fleurs.

La belle jardinière, sort de son sac une petite faux, l’élance dans le ciel bleu en un arc parfait, qui, s’abattant, cinglant et rasant le sol coupe sèchement la tige dans un claquement sec, elle propulse dans l’éther la belle fleur. Fendant l’air de ses alvéoles, elle s’envole au loin et je reste comme hypnotisé, obligé de la suivre dans sa courbe déclinante. Des courbes la belle en fait, elle en joue, devrais-je vendre mon âme au diable pour les suivre encore ?… Rangeant en bandoulière l’outil, elle s’éloigne laissant un parfum unique de feuille et de fleurs derrière elle.

De cette chérie des dieux, mi Chloris mi Artémis, je m’approche, de moins loin maintenant, je la suis en fixant son geste, ce mouvement parfait qui fouette cette fleur, l’envoyant de parterre en parterre.

Ma bouche s’ouvre et, ignorant la raison, de m’exclamer :

– Comtesse de Freesia, Madame est-ce vous ?

La silhouette tourne sur elle-même, tout en douceur, suffisamment pour l’apercevoir de face. Ravissante.

Et de continuer en rougissant :

– Que faites-vous ?

– Je joue mon ami, je joue le golf, sais-tu ce que cela veut dire ?

– Oh oui ! Je sais ce qu’est le golf, je joue le championnat du club demain. Mais vous, que faites-vous ?

Du carquois qu’elle porte, elle en sort un outil plus long qu’une faucille mais bien moins triste qu’une herminette, le fer luit dans le soleil et rase la tendre verdure pour en expulser une fleur blanche !

– Ah ! mon bon ami, n’est-ce pas l’essentiel d’un jeu d’envoyer une fleur dans le ciel et espérer qu’elle retombe sur le plus beau des gazons ?

– C’est bien, ce que j’aimerais penser du golf. Mais ce n’est pas une balle que vous frappez, c’est une fleur qui s’envole !

Avec un sourire qui me chavire, elle révèle:

– La différence est que tu joues une balle, moi c’est une bulbille que je caresse.

Sans plus se soucier de ma présence, elle reprend son élan, se riant dans la verdure, je la vois s’en aller. J’ai devant moi une curieuse féerie. De ma tête germent mille fleurs d’agapanthe et mon corps semble se redresser comme hampe au soleil. Mes jambes se déracinent, se délient, je cours pour la rattraper, haletant et vibrant, j’ose encore lui demander :

– Viendriez-vous demain me voir jouer ? Je fais la compétition du Club.

– Comment t’appelles-tu mon garçon ?

– Pierrot,

– Quel beau prénom, es-tu le rêveur de la vieille ferme ?

Ignorant la question j’insiste:

– S’il vous plaît ! dites-moi si vous viendrez me voir jouer.

– Pierrot, cette nuit, les yeux fermés, sous tes paupières, tu imagineras une grande prairie, avec des fleurs par milliers. Puis tu chercheras et trouveras parmi elles sûrement une petite balle, une balle blanche. Tu la caresseras pour l’apprivoiser et tu t’amuseras avec elle. Joue, joue et joue encore avec elle, fais la voler, rouler, tourner à l’infini… toujours doucement en la caressant…

– Serez-vous avec moi dans ce rêve?

– Pierrot, je serai à tes côtés, mais ne me cherche pas. Je ne suis pas toujours visible. Les rêves ne sont pas ce qu’on leur demande, mais ils peuvent rester longtemps incrustés au fond des vrais yeux. Ton imagination prendra leurs suites et ta vue s’irisera comme la rosée sur cette grappe de muscaris.

De sa main blanche elle caresse l’herbe à nos pieds, là où se trouve le drapeau rouge et blanc, en l’espace d’un instant le sol devient un tapis blanc d’azalées.

Aujourd’hui, je suis au départ du championnat du Club. Confiant, sur le tertre du 1, driver en main, je ressens une présence, mais je n’aperçois que mon sac. Il est posé à côté de moi, sortent de lui mes clubs plantés comme treize somptueuses plantes multicolores, fourgonnant dans ma poche je trouve un bulbe. Quand je le pose sur le tee il devient la plus belle des balles blanches.

Moi, Pierrot le rêveur, je suis prêt pour le premier drive !


Je suis Patrick Chauvin, membre du Club d’AIX LES BAINS, savoyard de souche je partage ma vie entre le lac, la montagne et le golf, n’est pas LAMARTINE qui veut ! 😊